2. Le mois de kane-gah
Le mois de kane-gah est convenablement choisi en mars. Cette période de mois doit être octroyée aux jeunes garçons parmi lesquels il se trouve un bon nombre d’élèves afin de leur permettre de redémarrer le deuxième trimestre de l’année en cours. Une trêve de 30 jours au moins sera observée question de s’imprégner de la nouvelle connaissance en matière de la responsabilité.
Situation morose d’une part pour les jeunes qui partiront en brousse pour leur formation et du côté des mères d’autre part. Inquiétude du côté des mères parce que leurs enfants vont les manquer pendant cette période et subir un certain nombre de traitements. Car cela ne va pas sans risque d’autant puisque les traitements sont infligés de façon correctionnelle et donc rude. Un enfant qui désobéissait à la maison ou à l’égard des autres, doit être redressé en lui administrant quelques bastonnades. Ces bastonnades doivent être accompagnées de conseils pour permettre à l’enfant de ne jamais recommencer les mêmes erreurs. Le moment de kane-gah est le plus dur pour les femmes, car elles doivent désormais travailler doublement que d’habitude. Elles doivent préparer la nourriture en quantité suffisante midi et soir et quelque fois les matins pour non seulement leurs progénitures, mais aussi pour une kyrielle de personnes qui quittent leur domicile pour aller s’installer en brousse avec les enfants. Soulignons en passant que c’est moment où les greniers se vident de leurs contenus.
3. Le départ pour le kane-gah
Le lieu choisi pour abriter le kane-gah doit être un endroit isolé et caché dans un buisson .Généralement, l’on choisit un endroit qui regorge assez d’arbres pour générer des ombres car le mois de mars est une période caniculaire. La situation géographique du peuple mambay s’étend le long des fleuves de mayo louti et kebi dans la partie septentrionale du Cameroun. Cette partie du pays possède une particularité infernale de chaleur en mois de mars, avril et parfois le mois de mai.
Après avoir rassemblé les jeunes pour la circonstance, les garçons des précédentes promotions procèdent par le choix d’un ou deux garçons pour le parrainage durant toute la période de kane-gah. Chaque parrain (mougah) choisit un pseudonyme pour ses garçons (ngâ-yah). Ces noms proviennent parfois des célèbres acteurs ou des protagonistes reconnus.
Après avoir préparé et nettoyé le lieu pour l’ablation de prépuce, le médecin traditionnel, conduit par les chefs des différentes délégations, « consulte »enfant après enfant .Il les administre de façon traditionnelle les traitements à base d’écorces d’arbres médicinales.
4. La première journée de kane-gah
La première journée est une journée très atroces. Les plus grandes promotions briment les inférieures. On peut entendre ça et là des cris et des réprimandes de tous les azimuts. Les punitions infligées aux inférieurs sont vraiment infernales pour ceux qui n’ont jamais assisté à un tel événement. L’avant dernière promotion est la plus torturée et cela pendant toute la période de kane-gah (circoncision).
Du côté des ngâa-hi (initiés), ils commencent la journée par boire une bonne quantité de bouillie faite à base de natron. Selon la tradition, ce natron aurait une certaine particularité médicinale. Chaque mougah (parrain ou encadreur) est chargé de faire boire ses enfants (ngâa-hi). Ceux-ci doivent boire jusqu’à régurgiter. Tant que ce n’est pas le cas, ils doivent continuer à boire jusqu’à finir parfois une grande calebasse. On peut voir ça et là des vomissements et entendre des pleurs dus aux tortures.
5. La classification et l’organisation
Pendant l’initiation, la société est bien organisée. On élit un représentant pour chaque promotion et le tout supervisée par le chef suprême et spirituel qui doit réguler toutes les tentions et problèmes rencontrés sur le lieu. Il est assisté de quelques personnes sages, jouant le rôle des conseillers. Le chef choisi est doué d’un pouvoir exceptionnel.
De ce fait, la vénération doit être réservée à chaque classe de personnes se trouvant sur le lieu. Le respect de la hiérarchie doit être rapporté au chef suprême, superviseur de tout acte observé réprouvable pendant la période d’initiation.
Une génération supérieure a le plein droit d’administrer des coups de chicottes aux inférieurs (une seule fois) sans réplique. Les brimades de tout bord ont lieu entre différentes générations.
6. Combat (da kâah)
Dans une même classe, c’est-à-dire de groupes d’une même promotion, les personnes peuvent se mesurer en se donnant les mêmes nombres de coups. Pour ce faire, chaque personne doit faire recours aux chicottes issues des arbres solides, bien flexibles. Les gens vont jusqu’à mettre ces fouets fraîchement arrachés au feu ou dans le sable chaud pour les rendre encore plus flexibles. Après ces procédés, les combats (dâ kâah) peuvent commencer. Lorsqu’on assiste à ces différents combats, on peut les assimiler à des règlements de compte. C’est un lieu où on peut exposer toutes ses rancunes endormies.
7. La garde
La garde ou le contrôle des petits circoncis reste une préoccupation majeur pendant la période de kane-gah ce d’autant plus que certains malfaiteurs pourraient en profiter pour se faire entendre. Ces derniers, faut il le rappeler aiguisent leur appétit pour effrayer en tout lieu et place les individus à condition que vous ne soyez aussi « dur » c’est-à-dire avoir un certain pouvoir magique pour contrer leur puissance. Le parrain (mougah) doit veiller sur ses enfants toutes les nuits et jours et surtout la nuit pour empêcher que ces derniers ne se couchent pas sur n’importe quelle position. Si l’enfant se met sur ventre, il y a des risques de se faire mal et compromettre la guérison (cicatrisation) de son prépuce. S’il arrive que le mougah (parrain) s’endorme pendant que ses enfants prennent une mauvaise position, le contrôleur général, sans ordre de qui que ce soit, lui administre des coups de fouets pour se réveiller et au petit tout de même pour ne plus recommencer.
Le lieu de kane-gah dans la tradition mambay est un lieu sacré à respecter. Toute personne étrangère n’y a pas le droit d’accès. Pour avoir accès au lieu, il faut avoir une autorisation qui passe par un « salut ». C’est un coup de fouet d’accueil lui souhaitant la bienvenue et dont l’autorisation doit venir du chef suprême. Ce salut a des restrictions sur des personnes âgées. Pour nu homme biensur, il doit être alerté à quelque distance du lieu. La nuit, le contrôle est hautement surveillé de tous les côtés. Pour ce fait, la garde est montée par des vigiles choisis par les supérieurs. Aucune personne ne doit partir de lieu sans autorisation. Sinon le retour vous sera très fatal.
Enfin, l’un des contrôles les plus stricts est celui des femmes. Elles ne doivent pas s’approcher du lieu car dit on, la femme incarne tout ce qu’on peut qualifier de mauvais et incertain. Dans la tradition mambay, la femme ne doit pas connaître les secrets du domaine des hommes et encore moins les rites de telles envergures se font entre hommes. Une femme se doit de respecter et d’obéir scrupuleusement les mots d’ordres de tous les hommes surtout pendant ce moment fatidique. Les femmes doivent rester très loin de lieu de la circoncision lorsqu’elles apportent de la nourriture. Celles qui font la tête doivent être correctement battues .c’est la raison pour laquelle elles baissent leur tête lorsqu’elles arrivent avec la nourriture à quelque distance du lieu. La nourriture doit être servie dans une grande calebasse et bien propre. Elle doit avoir une capacité à contenir trois à quatre grosses boules de couscous à côté desquelles la sauce est versée. D’autres femmes apportent de la bouillie de natron et ceci jusqu’à la fin de kane-gah. Parmi les nourritures, on peut citer celles qui sont appelées « nâa ignâa» c’est-à-dire bien préparées comme nourritures de fête et les nourritures ordinairement préparées.
8. La danse
Pendant toute la période de kane-gah, les danses sont organisées ça et là à différentes chansons. La culture mambay, en ce qui concerne les chansons de kane-gah, on note une correspondance nette à celle de moundang. De ce fait, les chansons sont mixtes. On fait un mélange de moundang et de mambay. Le soir au coucher du soleil, un signal est donné pour le rassemblement. Après l’allocution du superviseur général (chef suprême), le chanteur entonne une chanson qui sera aussitôt repris par l’ensemble. La danse commence en faisant la ronde. Les plus gradés apprennent aux tout petits les pas de danse. Cet apprentissage est accompagné de bastonnades lorsqu’on esquisse mal les pas. Les petits sont passés au milieu du cercle. Lorsqu’un supérieur se place au centre et s’incline, toute la ronde s’incline et fait exactement ce que le supérieur demande faire. Après la danse, suit une série des prières dites par le plus ancien et connaisseur en la matière. Enfin, tout le monde se disperse pour aller à sa place et retrouver ses états après ce dur moment passé à la danse. il faut noter que les nouveaux (ngâa gni) ne participent pas aux premières danses . Car ils ne doivent pas se faire mal. Mais vers la fin de kane-gah, tout le monde à l’obligation de danser.
Chaque matin et soir, on assiste à la prière, regroupant l’ensemble de personnes du camp. L’endroit pour passer la nuit est différent de celle de la journée. Généralement, on choisit les endroits sablonneux. Quelques objets de musiques sont fabriqués. On distingue entre autre le « nakouala », le « lala » et le « baou ».
Le nakouala et le lala sont des instruments particuliers qui permettent d’émettre de son comme celui de cri de cigale. Ils sont confectionnés juste pour passer le temps et rendre les moments plus agréables car ils ont de rythmes de la musique traditionnelle. Ils permettent de rythmer les déplacements.
Le baou est un instrument qui fait savoir de loin qu’il y a sur le lieu, le kane-gah. Il est le premier à réveiller les gens.
9. Le bain des ngâa-hi (giâa bia)
Il a lieu toutes les 2 ou 3 semaines durant toute période de kane-gah. Le jour choisi est généralement samedi. Le bain se fait dans un mayo. Le départ pour le mayo se fait très tôt le matin pour éviter le soleil et regard des femmes provenant des différents villages. Du point de départ jusqu’à l’arrivée, la marche est rythmée par des chants et des différents instruments fabriqués artificiellement. Les ngâa-hi doivent être couverts par leurs mouga pour empêcher la vue de ces derniers. Arrivé au mayo, chaque mouga prend soin de bien laver ses enfants. Ils sont assis au bord de la rive, le devant dans l’eau et animé par un épouvantable « crocodile » : un homme déguisé en crocodile.
10. Le sigoh (le crocodile)
Le sigoh représente une personne déguisée en un épouvantail. Comme son nom l’indique, le sigoh est un caïman. Celui qui le représente un est un homme « mur » c’est-à-dire doué de « pouvoir incontesté ». Il est le superviseur de tout et le plus vénéré dans le camp. Sa description revêt un certain nombre de symboles qu’on peut caractériser de pernicieux.
Il porte deux petits couteaux de cinq centimètres d’environ dans la bouche et ressortis comme des crochets de caïman d’où son nom.
Les garçons, torse nue, sont alignés le long de la rive, chacun accompagné de son mouga (parrain). On peut entendre ça et là des cris. C’est une dure épreuve qui raffermit une fois de plus le courage et la témérité du jeune garçon. On se désengourdit peu à peu de la couardise pour faire place à la bravoure etc. Des cris oui parce que de temps en temps des chicottes ne cessent de retentir sur les dos des tout petits .celui qui a peur ou celui dont l’attitude témoigne étonnamment de la descente du ciel sur la tête. Il est aussitôt assorti des coups de fouets.
Le sigoh, pendant que les ngâa-hi sont assis, allignés le long de la rivière fait un plongeon inaperçu dans l’eau. C’est un homme hors de commun qui peut faire environ une dizaine de minutes dans l’eau. Muni de ses deux couteaux dans la bouche, le sigoh fait son apparition comme un libellule devant les garçons remplis de torpeur.
L’objectif de sit-in dans l’eau est de permettre de bien amollir leur prépuce afin d’en faciliter le nettoyage. Quant au sigoh, il devrait permettre aux jeunes futurs braves hommes à ne pas reculer devant un danger ou un obstacle. C’est un parcours de combattant qui prépare ce dernier à braver les adversités de la vie. Après quoi, la danse est organisée. Les combats chauds ont lieu entre les grands et voire les brimades. Il faut aussi noter que le jour de bain, chaque mouga doit faire la pêche et relever le défi d’un bon encadreur ou parrain.
Le dernier bain marque généralement la fin de kane-gah. Pour cela, chaque mouga devra bien peindre un joli bâton pour chacun de ses ngâa-hi. A la veille de la cérémonie grandiose qui marque la fin de kane-gah, la mobilisation est tout azimut. Dans les différentes familles, les habilles de retour sont confectionnés et prêts. Les femmes et autres personnalités attendent le grand événement .on peut réserver pour les tout nouveaux circoncis, un ensemble de gandoura, les chaussures, les serviettes et bien d’autres surprises. Du côté de mouga, on doit attendre le grand événement pour se faire de l’argent tant du côté de la famille de l’enfant que les autres membres de la famille venus pour la circonstance.
11. Le jour de retour
Comme toute grande cérémonie d’envergure, le kane-gah augure le grand jour pour manger et boire. Elle doit être annoncée dans tous les villages environnants. Après le bain de ngâa-hi, qui se fait très tôt, les jeunes garçons sont vêtus de leurs habits neufs. Munis de leur joli bâton, ils vont rejoindre le village qui les a manqué pendant un certain temps. Ils sont alors mis en rang pour la marche vers leurs différents villages.
A l’approche de villages, les femmes s’apprêtent à faire leurs youyous, acclamations, des cris de joie etc. toute la population est d’abord reçu par le chef de chaque village pour recevoir de ce dernier une dernière bénédiction. Les batteurs de tam-tam et autres musiciens traditionnels se bousculent pour avoir de place au soleil.. après quoi, les enfants vont rejoindre les domiciles des parents respectifs, accompagnés de leurs mouga.
Avant de fouler l’entrée de la concession, la mère procède à la bénédiction en versant sur les pieds des garçons des potions en guise de purification. L’accueil doit être monnayé car toute personne voulant adresser des mots aux garçons doit d’abord verser une certaine somme d’argent. C’est une affaire de mouga comme mentionné dans les premières analyses.
Les réjouissances populaires sont organisées dans la cour principale du chef puis dans les différentes maisons de chefs de famille. Dans la cour du chef, une grande danse est organisée. Seuls les hommes y prennent part.
Sept jours durant après le retour, les ngâa-hi sont doivent dormir avec leurs mouga pour leur enfoncer le clou dans le domaine de l’éducation et des instructions (des règles de conduite) reçues en brousse.
Après quelques jours, il est organisé un retour en brousse pour une cérémonie appelée « prise de l’âme ». Cette cérémonie dure juste quelques heures embûchée d’obstacles.
Au retour, les nouveaux circoncis sont pourchassés car ils ne doivent pas se retourner en courant. Celui qui se laisse rattraper est aussitôt passé à tabac. Ainsi donc finit le kane-gah chez le peuple mambay.
12. Conclusion
La circoncision ou initiation, encore appelée kane-gah chez le peuple mambay est un rituel au cours duquel le jeune garçon doit se découvrir et partager les moments de peines et de joie.
Les peines sont concrètes, palpables qui mettent les petits à l’épreuve de leur lourdeur d’esprit. On y apprend beaucoup des choses : le partage, la tolérance, bref les règles élémentaires de conduite allant dans le sens de la déontologie et de la moralité.
Les joies sont partagées entre camarades. On se côtoie malgré la dure épreuve…(to be continued)